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Philippe Piguet Georges Autard, éloge de la substance |
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Je peins contre les tableaux qui comptent pour moi, mais aussi avec ce qui leur manque déclarait en son temps Picasso. Cette formule - quelque peu péremptoire - nen est pas moins riche denseignement. Elle sanctionne du moins le fait quun peintre qui sintéresse aux uvres des autres découvrirait leurs failles, leurs tentatives à demi abouties, et quil se servirait de ces failles, de ces impasses, pour produire ses propres métamorphoses des tableaux qui comptent pour lui. Si le désir de peindre qui porte luvre de Georges Autard ne procède pas exactement de cette même qualité dintention, il nen est toutefois pas foncièrement étranger. Il semble bien en effet, de manière plus ou moins explicite, - et notamment au vu de ses derniers travaux, ceux-là mêmes qui sont présentés ici à Céret - que ce qui a toujours guidé lartiste nest pas tant de mettre à jour un manque que de trouver un passage inédit lautorisant à se glisser dans la peau de ses modèles. En son temps, fort dune admiration avouée pour ceux auxquels il sen prenait, Picasso ne faisait pas autrement. Tandis que lun comble, lautre scrute. Dans les deux cas, il sagit demprunter des images au passé, de sen servir comme motif, de les considérer comme la matière même dune motivation. Ce faisant, Autard ne fait là quadhérer à une posture qui constitue lun des facteurs de régénérescence permanente de lhistoire de lart. On le sait, celle-ci na jamais cessé dêtre reconduite au fil du temps en une succession dexemples transfigurés accordant aux procédures tantôt de la citation, tantôt de la référence, une place privilégiée. Les exemples sont légion qui fondent une culture de limage sappuyant sur des configurations archétypales qui sont à la base dun langage plastique universel. Le phénomène de fascination quexerce luvre dun artiste aîné sur un artiste plus jeune est à mettre au compte dune espèce de dialogue établi entre les époques, les générations et les styles. Un dialogue au travers duquel lemprunteur sait bien que ce quil cherche relève tout à la fois dune caution, dun challenge et dun défi. Dans cet esprit, la manière dont un artiste comme Picasso a multiplié les reprises et variations dun thème emprunté à lhistoire telle Bacchanale de Poussin, Les Ménines de Vélasquez, les Sabines de David, les Femmes dAlger de Delacroix ou Le Déjeuner sur lherbe de Manet - participe non seulement dune volonté dépuiser son modèle pour en extraire la substance dans une sorte de corps à corps proprement existentiel mais aussi de celle dinstruire le principe de création à lordre du fait de collection. Quest-ce au fond quun peintre ? sinterrogeait lauteur des Demoiselles dAvignon, hommage duel à Ingres et Cézanne réunis. Cest un collectionneur qui veut se constituer une collection en faisant lui-même les tableaux quil aime chez les autres. A la façon dont Malraux sest inventé son musée imaginaire, le peintre ferait alors des tableaux à partir du sien pour donner de la réalité à ce musée réel. Cest ainsi, nous semble-t-il, quil convient dappréhender la démarche de Georges Autard depuis le tout début de sa carrière. Sa façon de convoquer les plus prestigieuses figures dune histoire de la peinture dans tous ses états, de Fra Angelico à Beuys en passant par Nicolas Froment, Peter Christus, Malevitch, Ryman, Jaspers Johns, etc., acte de la volonté daffirmer la pérennité dun mode mais surtout de sy inscrire. Une volonté par ailleurs confortée par le soin constant chez lui de revendiquer une manière - le per ornamento - coextensive au fait même de peinture. Scientifique de formation, Georges Autard a longtemps emprunté au langage mathématique les motifs dune iconographie dont il reversait les signes au compte dune production peinte ne prévalant que pour ses qualités abstraites. Lavènement des technologies nouvelles ne pouvait le laisser indifférent et le voici aujourdhui confronté aux outils informatiques et à leur potentiel créatif. Lusage qu' il a choisi den faire procède dune subversion dialectique visant à jouer de lanalogie entre deux types de palettes celle du graphiste et celle du peintre, soumettant les images de celui-ci à tous les trafics que permet la pratique de celui-là. Face à la multiplication des images que connaît le monde contemporain, Autard nest pas intéressé den ajouter de nouvelles. Ici, à Céret, il a donc choisi une fois encore demprunter ses motifs à lhistoire de lart, et plus particulièrement aux exemples de Cézanne et de Picasso, une forme dhommage tout à la fois contextuel et universel. Les différentes séries dimages peintes quil en a déduites, tant des paysages de Provence de Cézanne que de certaines uvres de Picasso de Céret, cest-à-dire de son environnement proche et de sa culture méditerranéenne, procèdent dun protocole savamment élaboré. Composé détapes diverses et variées qui diffèrent dune intention à lautre, celui-ci nest jamais tout à fait le même selon le sujet traité. Numérisation, transfert, effacement, relevé, impression, correction, etc., sont rendus possibles grâce à la perfectibilité des outils informatiques en vue de constituer comme une esquisse du tableau envisagé. Quoique laspect aseptisé du bureau où trône tout le matériel nécessaire ne supporte aucune comparaison avec latelier traditionnel du peintre, il y va là dune véritable cuisine , comme on en parlait jadis. A linstar dun artiste qui travaille daprès photo en projetant sur sa toile limage du motif capté, Autard exploite les ressources de la rétro projection pour reporter sur toile les canevas dessinés quil a constitués sur lécran de son ordinateur à partir du modèle original. En matière de manipulations dimages, il y a belle lurette que Georges Autard a fait preuve dune rare capacité dinvention parce que rien ne lintéresse plus que tout ce qui contribue au glissement du sens. En sen prenant ici aux masses colorées de Cézanne, en ne conservant là que le trait large et décisif de Picasso, les nouvelles peintures de Georges Autard - qui noffrent plus rien à voir de leurs origines sinon le substrat dun signe référentiel ne se contentent pas dêtre comme les spectrographies de leurs modèles, elles quêtent après une quintessence - et cest en quoi elles fraternisent avec eux. Cette quintessence, cest celle de la peinture même, dans cette qualité de réflexion qui conduisit jadis Manet à proclamer que la peinture nest rien autre chose que la peinture, elle nexprime rien dautre quelle-même . Ce ne sont pas les formes qui génèrent ici le sens, mais à linverse, les formes naissent du trafic du sens. La façon qua Georges Autard dopérer ses images en éliminant tout ce quil juge ne pas être absolument nécessaire à lidentité structurelle de leur composition vise à en révéler comme leur première pensée. Ce moment de surgissement initial de limage en appelle à une sorte de mise à nu, à la découverte de quelque chose qui est caché. Les différentes phases du travail ressortent dès lors dun principe similaire à celui dune mise en abîme, voire de lécho. On pourrait même parler ici dune sorte déchographie de la peinture tant il sagit de faire voir quelque chose qui est de lordre de linvisible et que lorganique est lune des composantes récurrentes de luvre de Georges Autard. Ce quil en est de la notion de trafic néchappe pas aux idées de circulation, de flux et de métamorphose. Dans le travail dexécution de la peinture, lusage que fait lartiste doutils puissamment rattachés à la tradition, et plus particulièrement de pinceaux japonais, cest-à-dire à lantipode même des procédés mécaniques de recherche de lépure, témoigne dune attitude à première vue paradoxale. Il nen est rien en fait. Quelles que soient les périodes quil a traversées, la démarche de Georges Autard na jamais démordu de lidée de la souveraineté de la peinture. De sa capacité à assimiler les techniques et les matériaux nouveaux propres à chaque époque. De sa potentialité à répliquer aux défis que lui opposent les autres modes dexpression en les reversant à son propre service. Comme il en est finalement de lincroyable masse dimages qui déterminent lhistoire de lart. Autard a fait sien en quelque sorte le fameux précepte de Lavoisier qui avait observé au terme de ses recherches que, décidément, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme Sil ne prétend en rien ni enrichir linventaire des choses de la peinture, ni en découvrir une formulation inconnue avant lui, en revanche Georges Autard nous en propose-t-il une approche singulière. Son art met à lépreuve une méthode de penser limage et, comme le font voir ses travaux récents, instruit un nouveau rapport entre substance et substantif. Philippe Piguet |
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